"C'était quelque chose en dehors d'elle qu'elle ne savait pas nommer. Une énergie silencieuse qui l'aveuglait et régissait ses journées. Une forme de défonce aussi, de destruction.
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Il s'approche d'elle. Tout près avec précaution. Comme il pousserait du doigt un animal blessé.
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Il l'enveloppe avec des mots, il étreint cette angoisse qui la submerge, il lui tient tête, fort de toute cette confiance qu'il a pour elle, de cette vie d'après qu'il est seul à entrevoir.
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Mais elle n'a pas renoncé .Elle ne veut pas perdre le contrôle. La vie d'avant n'est qu'un souvenir anesthésié et la vie d'après se chuchote comme une promesse impossible.
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Plus tard elle comprendra qu'elle cherchait ça entre autres choses, détruire son corps pour ne plus rien percevoir du dehors.
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C'est parce qu'il sait, sans doute, qu'il est si précieux. Parce qu'en lui la souffrance trouve un écho, dans l'obscurité de son histoire, peut être, dans sa folie ordinaire.
Et s'il était seul à savoir, et s'il était la colère du vent, capable enfin de faire tomber la petite fille de son arbre mort...
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Elle se vantait à voix haute d'avoir tout encaissé, tout digéré, elle avait chaussé ses bottes de mille lieues pour se barrer loin de tout ça, pour affronter le monde. Jusqu'au jour où cette enfance blessée lui est remontée d'un seul coup. Acide.
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Elle ne voulait pas grandir, comment peut-on grandir avec ces blessures à l'interieur de soi? Elle voulait combler par le vide ce manque qu'ils avaient creusé en elle, leur faire payer ce dégoût qu'elle avait d'elle-même, cette culpabilité qu'il la reliait encore à eux.
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Elle essaie de ne pas enfoncer ses ongles dans sa chair pour arracher cette graisse qui prolifère comme une mauvaise herbe.
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Elles s'enfoncent ensemble dans la nuit, elles comparent leurs histoires, elles ne peuvent plus s'arrêter de parler [...] Elles ont en commun ce sentiment de puissance, ce sentiment de déchéance, inextricablement mêlés.
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Elle écrit par petits bouts ce cri infini jusque là resté muet.
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Ils disent tu faisais tellement peur, tu avais l'air déterminée, tellement lointaine. Ils disent on ne savait pas comment t'aborder, te parler, tu étais inaccessible.
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Elle voulait qu'on l'aime à en mourir, elle voulait remplir cette plaie de l'enfance, cette béance en elle jamais comblée.
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Il la laisse se débattre contre elle même. Il lui laisse le temps de toucher de la paume l'impasse dans laquelle elle se trouve, d'abîmer sa peau de ses mains sur le mur de crépi."
Delphine DE VIGAN - Jours sans faim (Extraits)
"J'observe mon visage en quête d'une blessure qui ne se voit pas. Je ne pleure pas. Quelque chose s'est ouvert sous mes pieds dont je ne peux sonder la profondeur.
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Cette brèche ouverte dans l'harmonie du silence, et la peur de tout perdre.
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Sur le papier quelque chose palpitait qu'il ne pouvait abandonner.
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Car le livre n'était rien d'autre qu'une partie de son corps, amputée, vivante, et criait comme un enfant qu'il eut tardé à reconnaître, un enfant abandonné dont le sang d'encre charriait son empreinte. Dans le silence, il avait entendu la violence des mots.
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Dans le train du retour, il n'a cessé de penser à ce moment, d'une force incroyable, à cette émotion qui l'avait envahi, à l'effort qu'il avait dû faire pour ne pas pleurer, il a cherché des mots pour raconter [...] cette douleur qu'il n'avait jamais voulu apprivoiser.
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Pieds nus sur la moquette, il se faufile entre les meubles, contourne les obstacles, cherche un endroit où déposer sa peur. Assis par terre, immobile, recroquevillé sur le silence, il guette la fuite des heures.
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C'est quelque chose qu'elle n'a pas vu venir. Quelque chose qui les éloigne l'un de l'autre, comme une lente érosion.
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Il sait comment elle peut le pousser dans ses retranchements, pour le plaisir de l'hypothèse, aller au bout des raisonnements, mener à leur terme les présupposés les plus ténus, chercher par la provocation ce qui se cache dans le silence. Il ne sait pas encore si ça lui fait mal, il ne répond pas. Elle le regarde avec ce sourire triste qu'elle a parfois, quand elle sait qu'elle ne peut rien.
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Au restaurant, tu as vu les cicatrices sur mes poignets. Ça excite toujours les hommes, le sceau du désespoir là où la peau est la plus douce, la plus fragile. Plus tard, ça leur fait peur. La question était dans ton regard. J'ai haussé les épaules et j'ai souri.
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Nous avons tous une histoire à raconter. Quelque chose dont il faudrait réussir à se débarrasser, pour avancer.
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Maintenant il s'interroge: est-ce que cela aurait changé le cours des choses? Si elle avait pleuré. Si elle l'avait supplié. Elle était trop fière. Trop fière et pourtant si vulnérable.
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Si tu dois vivre autre chose pour qu'on continue, si tu as besoin de ça, une autre main sur ta peau, alors vas-y. Je ne suis pas sûre que j'attendrai, mais je suis sûre que je ne te retiendrais pas.
[...]
Parfois ça fait peur. On se dit que ça ne peut pas durer comme ça, qu'il y a forcément un moment où ça lâche, où ça explose, qu'on ne peut pas se laisser glisser ainsi, s'abandonner soi même, qu'il y a forcément quelque chose au bout, ou au fond, un mur ou une étendue d'eau
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Un livre est comme un amour blessé, lacunaire, il contient en lui ce qu'il aurait pu être et qu'il n'a pas été, cet impossible retour en arrière, ce qu'on aurait dû dire, ce qu'on aurait dû taire, il en porte en lui la douleur d'avoir été abandonné."
Delphine DE VIGAN - Un soir de décembre (Extraits)
"Mais la vie est comme ça, aussi douloureuse et aussi simple que ça.
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Vous avez l'air de quelqu'un qui ne connaît rien à la chair ni au vertige.
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Vous comprenez n'est-ce pas, je n'ai jamais pu ni la haïr, ni l'aimer.
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Moi je voudrais mettre mes mains sur mes yeux, sur mes oreilles aussi, et ne plus rien voir ne plus rien entendre de ce qui vient du dehors, je voudrais rester au dedans de moi-même // qu'on me laisse avec ce cri au fond de la gorge et tant pis si j'étouffe.
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Je ne sais pas parler d'elle. Je n'ai rien à en dire.
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Vous ignorez sans doute qu'il faut perdre pied pour être dans la douceur du songe, sans entrave, vendre son âme et sa raison, mais ce n'est pas cher payé, croyez-moi, si je vous disais la légerté du corps, offert et vulnérable, et le bonheur de fermer les yeux.// J'ai peur que vous ne puissiez comprendre, cette fragilité extrème, cette fragilité délicieuse qui me rendait la vie.
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Pardonnez ma violence, comme je pardonne la vôtre, plus silencieuse.
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L'amour fait feu de tout bois et se gave d'illusions.
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Et alors tout serait pardonné, l'attente et le mensonge.
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J'aimerais vous dire que seule compte la musique, et le silence aussi.
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On dit d'elle qu'elle est douce, fantasque, un peu sauvage. Qu'il y a dans son regard, quand elle se tait, quelque chose qui met à nu. Que parfois sa voix se brise, quand elle rit.
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Nous sommes des enfants du silence, c'est la faim qui nous dévore, et le rêve aussi.
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Parfois il me semble que la vie m'échappe, se soustrait, je ne parle pas du temps qui passe, je parle de cette sensation étrange et douce, d'être en dehors.
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En attendant j'avance à découvert et je sais sourire en toutes circonstances.
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J'aime le goût de l'alcool dans la bouche des hommes.
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Il aimait mon cul, mes yeux bizarres, ma bouche à mourir.
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Est-ce la joie qui rend si fort?
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Au-delà des mots, quelque chose parfois nous propulse vers la solitude de l'autre, vers son désespoir, son impuissance ou sa colère, cela même qui ne partage pas et que l'on croit pourtant reconnaître. Dans cet élan obscur et aveugle, je m'étais souvent laissé faire.
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J'aime comme tu observes, ta fantaisie, tes mots quand ils sont fragiles, et la densité de ton silence. J'aime cette manière que tu as d'être en dehors, pas très loin.
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Oui c'était difficile de quitter quelqu'un qu'on avait aimé, qu'on aimait encore, d'une manière différente."
Delphine DE VIGAN - Les Jolis Garçons (Extraits)
"Je ne veux pas qu'on me tue parce que je crie trop fort.
[...]
Je m'offre une vie de passions."
"Je reste au milieu de la nuit debout sans fissures et sans bruits
mais de mal en pis et de fugues en fugues..."